Romances inciertos, un autre Orlando est à la fois un concert et un récital, qui s’articule en trois actes, comme un souvenir d’opéra-ballet. Y apparaissent successivement La Doncella Guerrera, qui nous emmène, dans un contexte médiéval, sur les traces d’une jeune fille partie au combat sous les traits d’un homme ; le San Miguel de Garcia Lorca, archange voluptueux et objet de dévotion, aussi orné que douloureux, porté lors des processions ritualisées de la Semana Santa ; et la Tarara, gitane andalouse qui, après un amour déçu, oscille entre mysticisme et séduction, et cache une secrète androgynie.
Romances inciertos est un estuaire, un delta. Une zone difficilement situable sur les cartes, à la confluence de musiques espagnoles de tradition à la fois orale et “savante”, qui inspirent des danses, des poèmes et de mini épopées dont les héroïnes jouent des rôles qui ne sont pas les leurs. L’histoire de ces personnages, pris dans un mouvement perpétuel de métamorphose, d’ambiguïté, d’imposture entêtée, et d’indécision embrasée se reflète dans le destin même des mélodies qui leur sont attribuées. Romances inciertos met en scène ces deux trajectoires : la renaissance des personnages qui n’ont d’autre choix que de transformer le réel à la mesure de leur désir – et l’infinie mutation de motifs musicaux à travers les siècles. L’identité incertaine de ces figures se réfléchit dans le métissage musical.
La plupart de ces mélodies sont apparues aux XVIe et XVIIe siècles en Espagne et depuis, n’ont jamais cessé d’être interprétées, modifiées, transformées. Chaque culture mais aussi chaque époque se sont réappropriées ces poèmes, actualisant sans cesse les aventures de leurs héroïnes. C’est ainsi que ces mélodies – issues de l’art du romance, du chant sépharade ou de la jota se sont introduites dans la musique baroque, le flamenco andalou ou encore les cabarets travestis de la Movida. Les coplas – les vers – eux-mêmes se sont démultipliés, et à l’ombre des versions les plus connues, les archives gardent la trace de strophes paillardes, retraçant le destin marginal de ces figures.
Les quatre solistes rejouent ici ces trajectoires, en empruntant des mélodies originairement écrites pour d’autres instrumentarium, en osant le rapprochement de timbres réputés incompatibles : le bandonéon se rêve clavecin, la viole de gambe bourdonne des zambras douloureuses, les percussions s’invitent dans la musique sacrée, et les réminiscences baroques des marches sévillanes apparaissent au creux du théorbe.
La scène, cerclée de tapisseries dont la trame rassemble de multiples représentations historiques de la nature, ouvre un paysage autour des cinq interprètes. La danse surgit, recoud et trouble : à la fois sœur et émule de la musique, elle s’impose comme art de l’impur et met le corps à l’épreuve du présent. Simultanément factice et réel, il tente d’atteindre d’impossibles altitudes dans un équilibre affranchi de la gravité. Les gestes s’engouffrent dans l’écart laissé entre les danses “traditionnelles” et leurs avatars académiques – suivant la trace de ces mutations chorégraphiques, dont l’histoire oscille entre pillages et inspirations.
C’est donc un delta impur, irisé, sur lequel semble scintiller la silhouette inattendue de l’Orlando de Virginia Woolf. Mais cet Orlando-là n’est plus un jeune lord de la Cour royale d’Angleterre qui vit quatre siècles et sombre régulièrement dans un profond sommeil. Il se consacre tout au long de sa vie à l’écriture d’un seul et même poème qui se teinte des reflets des époques qu’il traverse et se fait l’écho des mutations infinies des arts et des sociétés. Comme dans le roman, nous sommes ici en présence d’un personnage à éclipses, qui soudain s’absente pour renaître sous les traits d’une femme, ailleurs, dans l’espace et dans le temps.
Par l’épreuve du chant et de la danse, cet autre Orlando, porté par les musiciens, se lance dans une forme d’épopée dont les métamorphoses incessantes n’assouvissent jamais la quête d’un idéal.
François Chaignaud, Nino Laisné, Célia Houdart
ÉQUIPE DE CRÉATION
Conception, mise en scène et direction musicale Nino Laisné
Conception et chorégraphie François Chaignaud
Danse et chant François Chaignaud
Théorbe et guitare baroque Daniel Zapico / Pablo Zapico
Bandonéon Jean-Baptiste Henry
Violes de gambe François Joubert-Caillet / Robin Pharo / Thomas Baeté
Percussions historiques et traditionnelles Pere Olivé / Onofre Serer Olivares
Création lumière et régie générale Anthony Merlaud
Régie son Charles-Alexandre Englebert
Habilleuse en tournée Cara Ben Assayag
Création costumes Carmen Anaya, Kevin Auger, Séverine Besson, María Ángel Buesa Pueyo, Caroline Dumoutiers, Pedro García, Carmen Granell, Manuel Guzmán, Isabel López, María Martinez, Tania Morillo Fernández, Helena Petit, Elena Santiago
Décor
Chef peintre Marie Maresca
Peintre Fanny Gautreau
Retouche images Remy Moulin, Marie B. Schneider
Construction Christophe Charamond, Emanuel Coelho
Administration/production Barbara Coffy, Jeanne Lefèvre, Céline Peychet
Diffusion Sarah de Ganck/ART HAPPENS
PRODUCTION DÉLÉGUÉE
Vlovajob Pru & Chambre 415
Nino Laisné est membre de l’Académie de France à Madrid – Casa de Velázquez.
COPRODUCTION
Bonlieu Scène nationale Annecy et La Bâtie – Festival de Genève dans le cadre du soutien FEDER du programme INTERREG France-Suisse 2014-2020, Chaillot – Théâtre national de la Danse, Paris, deSingel — Anvers, la Maison de la musique de Nanterre, Arsenal /Cité musicale-Metz.
SOUTIENS
Ce projet a reçu le soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la Spedidam, PACT Zollverein Essen, TANDEM Scène nationale, l’Ayuntamiento de Anguiano – La Rioja, les Pépinières Européennes pour Jeunes Artistes et l’Ayuntamiento de Huesca – Aragon (résidence Park in Progress 12), et a bénéficié d’un accueil studio aux Teatros del canal à Madrid, au Centre national de la danse, à la Ménagerie de verre à Paris (Studiolab) et à El Garaje à Cadíz.
REMERCIEMENTS
Jonathan et Cristopher Jiménez Cabeza, Rodrigo Cuevas, Xosé Antón Ambás, Ramses Ilesies Fernandéz, Gemma López Hernáez, Diego « Gorilla », Eva Hernández Blanco, Miguel Ángel Marín, Olalla Alemán, Célia Houdart et l’équipe de Bonlieu Scène nationale Annecy.